samedi 3 mai 2014

Quelques mots de plus



John avait pris ses douleurs avec lui, se cachant derrière les livres, derrière les vitres fermées, sur lesquelles les gouttes de pluie s'agglutinaient. Le printemps, malgré le vert du jardin, ressemblait à un automne étourdi. Le bureau était devenu sa grotte, les autres pièces ne l'avaient pas vu depuis plusieurs jours, peut-être même semaines. Il dormait sur son chesterfield en cuir gris foncé, sous une couverture offerte par Emma. Des faux repas, des livraisons de luxe, des litres de thé qui le poussaient vers sa cuisine, un aller-retour vers ses ordinateurs, vers d'autres livres. Car si il alignait des mots, ses pauses étaient dans les mots des autres.

Philosophie, détente, amour, documents, art contemporain, cuisine même, les sujets variaient comme sa curiosité, insatiable. Hommes ou femmes, passion ou témoignages, tout était source d'émotions, de nourritures pour lui. Et puis aussi médicaments pour oublier encore les doutes, les douleurs, les souffrances qui accompagnaient sa vie depuis de longues années. Aujourd'hui il était devant son écran, attendant la réponse de son éditeur. Il avait envoyé le nouveau manuscrit, une version quasi finie de ses chapitres nylonnés, une version scintillante de ses rêves, mais surtout de son imaginaire débordant de douceurs, de longues jambes et de jolies silhouettes. Trois jours de pluie, trois jours sans réponse, sans signe en retour. 



Une sonnerie, celle de sa porte d'entrée, de l'autre côté de la maison, un bruit strident sur le fond musical choisi, des sonates de Chopin, un inconfort troublant. Il se leva, déploya son corps pour traverser le couloir vers la porte vitrée, apercevant une forme derrière.



Là devant lui, une femme, trempée malgré les quelques mètres depuis la rue, mais la pluie avait redoublé de force, elle avança à l'intérieur malgré le silence de John, surpris. Depuis tant de jours, il n'avait vu personne, ni même contacté Emma, lui laissant la joie de leurs précédentes rencontres, lui évitant ses périodes de faiblesse. Cette femme brune, avec une coupe au carré impeccable, un trench noir ne couvrant que le haut de ses cuisses, de longues jambes, des bottes vernies au genou.

"Je suis la réponse de votre éditeur, il n'arrivait pas à vous joindre au téléphone, il m'a demandé de venir à vous, avec cette lettre."

Elle posa son large sac besace, le regarda froidement, puis demanda où se trouvait son bureau, ainsi que du thé chaud, un thé aux parfums d'agrumes si possible.

John prépara l'eau chaude, une grande théière, deux jus de pamplemousse, une brioche feuilletée, deux tasses de grand format. Puis se dirigea vers son bureau, son lieu, son univers de mots.

Elle avait posé ses bottes près du radiateur sous la fenêtre, elle se perchait sur des talons hauts très fins. Toujours avec son trench, elle tendit à John une enveloppe. Dans un geste souple, si féminin, elle défît sa ceinture, décomposa son épaule vers le sol, déroulant le trench comme une cape, la posant aussi vite sur le coin d'un fauteuil club rempli de livres ouverts, des livres d'art surtout, une étude actuelle. Une minirobe grise en laine, si moulant que John attrapa du regard ses petits seins, leurs tétons surpris par le froid de la pluie, la laine enveloppante pour chaque arrondi  de sa sensualité.


John servit le thé, elle était debout, de dos face à la fenêtre regardant le tilleul du fond du jardin les iris et les premières pivoines. Elle contemplait silencieuse, Chopin emplissait de ses touches mélancoliques l'espace. Avec un ustensile antédiluvien, un coupe papier hérité, John ouvrit l'enveloppe, vit le logo de l'éditeur, une simple carte. Quelques mots, rien de plus !

"Vous me surprendrez toujours par cette force cachée dans vos mots, par cette douceur qui mêle les corps, tous les corps. Mais il vous manque un chapitre pour finir. Voici votre inspiration" 
signé votre dévoué éditeur

John releva les yeux, elle avait retiré sa robe, posée en vrac sur le tapis.

Elle était là, assise sur le sol, juste vêtue d'une paire de collant opaque. Rien de plus. Son sourire s'ouvrit vers son regard. Il déposa la large tasse près d'elle, puis revint avec le verre de jus de fruits.



En reculant, tel un photographe, il la regarda cherchant l'angle de vue, la plongée vers sa féminité. Derrière son bureau, il se posa, trouvant sa position, poussant les objets inutiles, alignant son clavier, fermant les fenêtres des écrans. John se concentra sur cette femme, ce diamant sobre, brillant par sa peau, là devant lui, à quelques mètres. Il fût aspiré par ses lèvres marquées d'un rouge pur, son regard perdu, ses cheveux si charmeurs, ses épaules, sa pose molle le long du rideau. Une lettre, un mot, un exercice de style, un raccord avec le livre actuel, il ne réfléchit plus, dans un silence propre à son esprit, dans une bulle affolée, il déversa voyelles et consonnes sur le clavier, sur l'écran. Un reflet de cette beauté des années folles.

Finirait-il le livre avec elle ? Commencerait-il un autre ouvrage ? Lui-même ne savait pas encore ce qu'il allait écrire, mais les minutes devinrent des heures, sans fin, sans douleurs, juste avec un thé de plus en plus froid, et cette femme endormie sur le canapé. Les mots coulaient sans fin.




Je dédis ce texte à Jill du blog www.imajill.com/blog


Mr STEED