vendredi 23 mars 2012

Ecrire avec elle, pour elles

John se retourna vers elle, vers cette présence que son nez avait détecté en premier. Tout ici était féminin, un cocon de soie en forme d'appartement, avec vue sur Paris. De lointains souvenirs pour lui, de son adolescence, plutôt de sa vie estudiantine, lorsque certaines soirées, après la fermeture des cafés, ils suivaient la bande, il suivait une jeune femme, chez elle, chez une tante, dans un quartier chic. Des porches et des pavés. Des espaces où parfois il s'était perdu, dormant sur un canapé, dans une chambre ou une autre, seul ou bien accompagné, oubliant le jour, l'heure, la vie. Dégustant déjà, les yeux fermés, les saveurs d'un monde de jouissance, d'extase et de caresses interminables de l'un vers l'autre, de l'un à l'autre. Soudain souvenir, avec cette touche d'Angel si envahissant, si caractéristique, si profondément charnel !




Elle s'était changé, une tenue plus détendue lui dit-elle. Une robe toujours aussi fluide, sur ses courbes, une large ceinture sur ses hanches, des boutons devant, sur toute la hauteur, un bleu nuit presque noir, un foulard gorgé de parfum, une manchette dorée. Ses jambes étaient aussi avec un bleu foncé, des escarpins noirs vernis, une fine bride sur chaque cheville. Elle se dirigeait vers lui.

"La décoration vous plaît !" Et sans attendre "Vous inspire-t-elle des mots ? j'aimerai comprendre comment jaillissent les mots en vous, sur votre papier." Un  silence, une pose sur ses deux talons, un coin de canapé adopté, elle me tendit le champagne pour l'ouvrir. "Je suis si cartésienne pour mon travail, que j'admire les artistes, les peintres et sculpteurs, les spécialistes des collage, qui de rien, de bout de rien, fabriquent des oeuvres magnifiques. Et vous de vos yeux, des textes, je me trompe ?". Une étincelle ! J'étais là !




Ma réponse fût celle du plop du champagne, un DELAMOTTE millésimé, un de mes préférés, elle avait insisté pour que je choisisse. Alors entre le gras de l'un, le rosé de l'autre, la puissance du pinot noir d'un Bollinger, le charme discret et complexe d'un Blanc de Blanc, j'avais pris celui-ci. Souvenir d'une époque aussi où je buvais chaque semaine une nouvelle cuvée, où je participais à des dégustations nombreuses de bulles. Je servais sa flûte, la mienne. Je lui proposais des macarons, des desserts comme ce mille-feuille à la réglisse et nougatine.




Elle attendait ma réponse, en caressant ses jambes, un geste anodin pour certains, un geste câlin pour tant de femme, conscient ou inconscient, elle aimait cette sensation. Moi aussi.

"Je regarde, je capte un bruit, une goutte de vie, et j'écris parfois trois phrases, parfois trois pages. De tout cela naît ensuite des chapitres, des livrets, et quelques possibles parutions. Je n'ose pas. Alors pour le partager, j'écris sur le net, sur des blogs, je libère des mots. Tout simplement, ils deviennent libres."


Elle souriait, face à moi, immobile, encore debout avec ma flûte, un peu parti. Je me posais à son opposé, elle me fît signe de venir plus proche d'elle. Un brin de dentelle blanche apparaissait sous le décolleté bleu. Elle écoutait mes mots, mon bégaiement sur le style, sur mes possibles phrases, sur des histoires commencées et jamais finies, sur des croyances, sur le tout et le rien, sur la philosophie de comptoir, sur la vie des autres, sur ce parc, notre croisement. Elle appréciait le champagne, grignotait, avec une cuillère par-ci, une cuillère par-là, un macaron entre ses doigts impeccables. "Et vous vivez de cela ?"




"Non, je suis devenu saltimbanque des mots par hasard, des incidents de vie, des pertes de mémoire, de référence, un burn-out avec mon passé." Elle acquiesçait. "Je ne voulais plus de ma position, de moi-même, et mes forces sont parties, alors après cette épreuve, je suis revenu sur le chemin de l'écriture. Un exutoire naturel, un moyen de communiquer en silence, de dire merci à mon entourage... à la vie autour de moi."

Elle avait une larme. Elle se repliait , ses jambes, ses mains tenant ses chevilles.

Des bas bleus et leurs revers apparents.

...à suivre...



JohnSteed

5 commentaires:

Olivier a dit…

Un Delamotte millésimé; Quelle tentation !
Olivier

françoisedu80 a dit…

Cher John ,
Tout est palpable dans cette rencontre ,le regard appuyé , l'attente , les questions , la curiosité ,l'envie de connaître un autre univers , un monde d'artiste ,de littéraire de rêveur ,de jongleur de mots ,d'un homme sensible , oui un buveur de mots ,suspendu aux lèvres d'une belle inconnue , d'une créature envoûtante ,mystérieuse , cueillette de mots ,de délices ,de féminité ,de quête vers la Muse ,vers ELLE...
Baisers

Cassiopée a dit…

Liberté... baisers (lexicaux et libres)

pussy a dit…

Quelle belle rencontre, l'artiste et le maître des mots!
Deux personnages qui sortent du commun et qui ont tant de choses à partager!

François a dit…

Les mots et la peinture qui se donnent rendez-vous au travers de leurs auteurs, quelle belle idée !
Le trouble se fait plus net, à la rencontre succède, bientôt (je l'espère !) la découverte...
Bien à vous,
François.